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"Littératures orales du Nord et du Sud de l'Inde"

(Séances animées par M. Laurent Maheux)

Au cours de ces séances, nous introduirons un certain nombre de concepts clefs (performance, contexte, genre, intertextualité, etc.) en nous appuyant sur l'étude de textes exemplaires des divers courants théoriques (linguistique, ethnographie de la parole, anthropologie symbolique, interactionnisme, pragmatique des actes du langage, etc.) qui sont au fondement de l'approche en terme de performance. Nous verrons comment cette approche a été mise en oeuvre depuis les années 80 dans les travaux de recherche sur les littératures orales du Nord de l'Inde et, plus particulièrement, du Rajasthan.


Programme des séances et bibliographies sélectives

N.B. : Les textes qui seront commentés en cours seront distribués à l'avance et devront avoir été lus avant les séances pour lesquelles ils sont programmés. Les textes dont la lecture est recommandée dans le cadre de la préparation seront généralement disponibles dans la bibliothèque numérique.

Cette séance sera exceptionnellement animée conjointement par M. Maheux et M. Negers. Les textes à lire seront distribués lors de cette première séance.

Guide pour la rédaction d'une fiche de lecture

Nous consacrerons cette séance à l'étude du texte de Richard Bauman (1984 [1977]) : "Verbal Art as Performance". Ayant rappelé qu'en l'espace d'une décennie (1965-1975) la notion de performance fut inventée dans trois disciplines différentes (linguistique, ethnographie de la parole, anthropologie symbolique), nous resituerons le texte dans le cadre théorique général de l'anthropologie linguistique et, plus particulièrement, dans sa filiation avec le projet de l'ethnographie de la parole (ethnography of speaking). (Si nous disposons d'assez de temps, nous illustrerons la notion de keying à partir d'exemples issus d'une performance enregistrée de la mūmal rī vārtā.)

Préparation : Outre le texte de R. Bauman qui sera commenté en cours, on pourra relire utilement le texte de Jakobson (1963), comme représentatif des travaux qui ont inspiré le projet de l'ethnographie de la parole. Pour une présentation du cadre théorique général de l'anthropologie linguistique on pourra lire Duranti (2003) ou son article dans l'International Encyclopedia of the Social and Behavioral Sciences.


« [utterance] becomes only intelligible when it is placed within its context of situation, if I may be allowed to coin an expression which indicates on the one hand that the conception of context has to be broadened and on the other that the situation in which words are uttered can never be passed over as irrelevant to the linguistic expression. We see how the conception of context must be substantially widened, if it is to furnish us with its full utility. In fact it must burst the bonds of mere linguistics and be carried over into the analysis of the general conditions under which a language is spoken. » (Malinowski 1923 :306)

À la proposition de Malinowski répondait en écho, cinquante ans plus tard, l'appel de Richard Bauman (1977) en faveur d'une analyse du contexte social, culturel et historique au sens large. Après Malinowski, la conceptualisation de l'événement de communication par Roman Jakobson, son développement par Dell Hymes (1964, 1974), l'accent mis sur le rôle de l'auditoire dans la composition orale dans les travaux de Parry (1971) et Lord (1960), les travaux de Goffman (1974, 1981) sur la notion de « cadrage » (framing), ont stimulé l'intérêt des chercheurs pour le contexte.

Outre que le terme « contexte » recouvrait des sens différents au sein de multiples traditions d'analyse (Goodwin & Duranti 1992), il est apparu que la plupart des définitions, entachées par une prétention à l'exhaustivité et une fausse objectivité (Briggs 1988), tendent à réifier le contexte comme un ensemble de conditions et de facteurs préexistants et extérieurs à la performance, sélectionnés en fonction de la pertinence que leur reconnaît le chercheur. Ce constat a amené de nombreux chercheurs à proposer une approche différente centrée, non plus sur le contexte, mais sur la contextualisation. En passant de l'objet au processus, il ne s'agit plus pour le chercheur de lister de manière prétendument objective un ensemble illimité de conditions et de facteurs, mais de prêter attention à certains indices qui signalent quels éléments de la situation sont utilisés par les participants dans la production de cadres interprétatifs.

Préparation : outre le texte Bauman et Briggs (1990) : « Poetics and Performance as Critical Perspective on Language » que nous commenterons en cours, on pourra lire Goodwin et Duranti (1992) pour un aperçu de la variété des traditions analytiques qui utilisent le concept de contexte. (Pour faciliter la lecture de la première partie de l'article consacrée à la performativité, voir une introduction à la pragmatique, par A. Lecomte. Une petite présentation qui récapitule quelques notions élémentaires).

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Narratologie et sémiotique littéraire

Dans ce cours, comme dans d'autres cours de la mention, nous serons amenés à faire appel aux appareils terminologique et méthodologique de la narratologie et de la sémiotique littéraire. Sans être un pré-requis, la connaissance de notions élémentaires est souhaitable. Les étudiants qui n'auraient pas eu l'occasion de les acquérir au cours de leur cursus pourront lire Adam (1994) et Bertrand (2000).

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Les travaux sur les littératures orales indiennes

De l'étude des textes ...

On peut résumer l'histoire de l'étude du folklore indien à grands traits en distinguant grossièrement cinq périodes. La première, qui se confond avec les débuts des études folkloriques en Europe et dans le monde au XIXe s., fut celle des philologues et des linguistes qui concentrèrent leur attention sur les textes classiques en sanskrit, en persan ou en arabe.

La seconde période, fut marquée par un changement d'objet et de méthode. En effet, au début du XXe siècle, fonctionnaires du gouvernement, missionnaires et autres Britanniques vivant en Inde collectèrent sur le terrain d'importants corpus de matériaux (contes, chants, etc.) en langues vernaculaires. Les trois volumes de légendes du Panjab de Richard C. Temple (Temple 1884-1900) ou les deux volumes que William Crooke consacra à l'étude du folklore du Nord de l'Inde (Crooke 1894) figurent parmi les travaux les plus représentatifs de cette période.

La troisième période, qui peut être caractérisée pas la rencontre des méthodes des deux précédentes (philologie et collecte de terrain), comprend deux groupes de travaux, distants dans le temps d'une vingtaine d'années et marquant un changement de perspective. Le premier groupe comprend tout une série d'études réalisées par des sanskritistes américains et portant sur les thèmes et les motifs des collections de récits classiques (Jātaka, Pãcatantra, Kathāsaritsāgara, etc.). Comme l'illustre l'étude de William N. Brown (Brown 1919) sur les liens entre les textes sanskrits du Pãcatantra et les versions populaires de ces fables qu'il qualifie de « modernes », la plupart de ces travaux reposaient sur l'hypothèse que les versions orales sont dérivées des versions écrites classiques. Les travaux du second groupe, parmi lesquels s'inscrivent notamment ceux d'Emeneau (1944-46, 1971) sur les traditions orales en Inde du Sud ou ceux de Verrier Elwin sur les différents genres oraux des tribaux d'Inde centrale et du nord-est, traduisent un changement d'approche. Les textes collectés ne sont plus considérés comme les avatars de modèles classiques, mais comme des objets en eux-mêmes dignes d'intérêt, dont les techniques de composition ou le contexte social de production sont éventuellement pris en compte.

Le trait le plus marquant de la quatrième période est le développement considérable des études en Inde même. La quête d'un héritage « ancien » et « authentique » qui accompagne les mouvements nationalistes un peu partout a suscité un intérêt nouveau pour les traditions populaires. Apparu au lendemain de l'indépendance, cet intérêt s'est concrétisé à partir des années soixante par la reprise de collectes de terrain, quelque peu délaissées par les chercheurs occidentaux, l'apparition d'une multitude de revues folkloristes en langues indiennes (Rājasthānī, Kathā Lok, Maru Bhārtī, Sarasvatī, Vardā, Maru Vānī, etc., pour ne citer que quelques revues rajasthani) et la création de nombreux instituts de recherche privés ou publiques (comme le Rājasthān Prācyavidyā Pratishthān créé en 1954 à Jodhpur, le Bhārtīy Lok Kalā Mandal fondé à Udaipur en 1952 ou le Rājasthānī Śodh Sansthān fondé à Jodhpur en 1955).

... à l'étude des textes en contextes

Les années quatre-vingts marquèrent le début d'une nouvelle période. Comme l'attestent les nombreux travaux publiés depuis (Wadley 1978, Blackburn 1981, 1988, Beck 1982, Smith 1991, Grodzins Gold 1993, Burkhalter 1996, Malik 2005), la caractéristique de celle-ci réside dans la nouveauté des matériaux étudiés et dans la nouveauté des perspectives adoptées par les chercheurs. En dehors de la découverte de traditions orales jusqu'alors inconnues, la nouveauté des objets étudiés tient essentiellement au fait que des traditions orales déjà connues au travers de textes ont été enregistrées et étudiées dans le contexte de leur performance. Par ailleurs, l'étude de ces matériaux nouvellement collectés met en œuvre des appareils théoriques et méthodologiques qui n'avaient pas encore été appliqués aux traditions orales indiennes, comme l'ethnographie de la parole (ethnography of speaking), l'analyse en terme de performance, ou la sémiotique.

Le fait que, depuis la fin du XIXe siècle, ethnographes et folkloristes aient eu une approche purement textuelle des traditions orales et n'aient jamais considéré la performance des textes collectés comme un sujet de recherche n'est pas spécifique aux études menées en Asie du Sud. Le glissement de l'étude des textes à l'étude de l'émergence des textes en contextes, qui ne l'est pas davantage, mais dont témoignent les travaux précédemment cités, fut une étape cruciale dans la fondation des approches en terme de performance.

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Dictionnaires et ouvrages de références

Compléments

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Documents audio-visuels

A l'exception du documentaire de H.O. Nazareth, que les étudiants sont invités à visionner dans le laboratoire libre-service du CERPAIM, il s'agit de documents de terrain réalisés par L. Maheux, dont certains extraits seront utilisés en classe, afin d'illustrer certains points abordés en cours. Quelques extraits seront prochainement accessibles depuis cette rubrique.